Comprendre la dette publique française ( B. Colombat)

La dette publique française s’élève à plus de 2 000 milliards d’euros. Comment en est-on arrivé là ? Qui en est responsable ? Qui détient la dette ? Enquête de Benoît Collombat.
La dette publique : un secret d’Etat © Getty / LordRunar
• Pourquoi la dette a-t-elle tant augmenté ?
Jusqu’à la fin des années 1970, l’Etat maîtrise sa dette publique. Il se trouve dans la position d’un banquier qui se finance lui-même. Il agit directement sur la monnaie et sur l’encadrement du crédit. Mais au début des années 1980, c’est « le grand basculement ». Sous l’influence du modèle anglo-saxon, la dette n’est plus administrée par l’Etat. Elle est placée sur les marchés financiers.
La dette française devient une marchandise.
Ce n’est pas seulement un choix économique, c’est aussi un choix politique, explique le chercheur au CNRS, Benjamin Lemoine :
Benjamin Lemoine, sociologue et auteur de « L’ordre de la dette » (La Découverte) © Radio France / Benoît Collombat
« Il faut la placer au mieux, la faire connaitre. L’idée est de développer une industrie de la dette. On passe d’un système où l’Etat était au-dessus des marchés financiers à un système où il est un acteur parmi d’autres. Pour obtenir cet argent, il faut qu’il donne un certain nombre de gages, qu’il se soumette à la loi du marché. »
Cette financiarisation de la dette publique s’accompagne de choix fiscaux et monétaires qui contribuent à augmenter la dette.
Un audit citoyen explique le gonflement de la dette par un important manque à gagner fiscal : quand les recettes fiscales chutent, c’est moins d’impôts dans les caisses de l’Etat. L’audit met également en avant une politique du franc fort dans les années 1980-1990. Les taux d’intérêts de la dette deviennent supérieurs au taux de croissance et emprunter coûte plus cher.
Et rien ne s’arrange avec la crise financière de 2007-2008, durant laquelle la dette passe de 60% à plus de 90% du PIB.
• Qui vend la dette ?
Aujourd’hui, cette dette est gérée depuis les bureaux de Bercy, dans les locaux de l’Agence France Trésor, au ministère des Finances. 40 personnes y travaillent, les yeux rivés sur les ordinateurs d’une salle de marchés pour « vendre » la dette française au meilleur taux.
En résumé, c’est un système à deux étages : l’Etat émet des titres financiers auprès de 17 banques, qui vont ensuite revendre ces titres à leurs clients. « C’est comme un marché de gros : j’ai 17 grossistes qui vont ensuite revendre aux petits détaillants sur les marchés financiers », explique Anthony Requin, le directeur général de l’Agence France Trésor.
Entre 10 et 15 milliards d’euros sont ainsi échangés chaque jour sur ce marché de la dette.
• Qui rachète cette dette ?
On ne sait pas précisément, mais on connait globalement le profil de ceux qui rachètent de la dette : des assurances, des fonds de pension, des banques centrales ou des gestionnaires d’actifs.
Les deux tiers de la dette française seraient détenus par des étrangers, un tiers par des français. Une mission parlementaire a tenté récemment d’en savoir plus. Sans succès. Le député Front de gauche, Nicolas Sansu s’insurge :
« Les gouvernements nous expliquent que ce ne serait pas bon qu’on connaisse les détenteurs finaux de la dette, parce qu’on risquerait d’affoler les marchés. Je suis en désaccord total avec ça. »
• Pourquoi est-ce si difficile d’en savoir plus ?
Parce que l’Etat lui-même organise l’opacité de la dette. Un article du code du commerce empêche d’identifier les détenteurs finaux de la dette. Cette opacité est jugée inquiétante par l’économiste Gaël Giraud :
Gaël Giraud © Radio France / Benoît Collombat
« Il faut se prémunir contre la possibilité des investisseurs étrangers qui se fichent du contrat social et politique français, de saborder la dette publique française, en la vendant le jour où ils ne seront pas d’accord avec telle ou telle initiative de politique publique. »
Selon l’Agence France Trésor, remonter « le fil de la dette » pourrait désavantager la compétitivité française sur le marché de la dette. « Nous n’avons rien à y gagner », résume le président du comité stratégique de l’Agence, Jacques de Larosière :
« C’est comme si vous disiez : il est absolument essentiel que la France connaisse le nom de chaque propriétaire de Peugeot dans le monde entier. Les produits financiers sont devenus des produits de consommation. »
Sauf que cette dette profite avant tout à une minorité, celle qui détient un patrimoine financier. Les contribuables, eux, payent les intérêts de la dette : 40 milliards d’euros par an.
Face à cette situation, plusieurs économistes plaident pour une renationalisation de la dette, avec un véritable service public bancaire, sans passer par les marchés financiers

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