G7 Seulement une vitrine pour la monarchie présidentielle ?

Le G7, opération de communication et usine Potemkine de la coopération internationale
Mediapart 23 août 2019 Par Romaric Godin

Il est tellement certain que le G7 de Biarritz sera une rencontre inutile qu’on se passera, cette fois, de communiqué. Reliques des années 1970, ces sommets ne sont plus que des opérations de communication et Emmanuel Macron espère bien en profiter.
Disons-le d’emblée : si le G7 n’avait pas lieu en France ce troisième week-end d’août, les grands médias auraient surtout réservé leurs unes aux retours de vacances et à la préparation de la rentrée scolaire. Et ajoutons qu’ils auraient eu raison, tant ces deux marronniers, aussi dérisoires soient-ils, semblent avoir davantage d’impacts sur la réalité que cette réunion de chefs d’État ou de gouvernement dans l’ancienne résidence de l’impératrice Eugénie, à Biarritz. Car, même en cherchant bien, on peine à trouver d’autres explications que le biais national et le déploiement ridiculement exagéré de mesures de sécurité à la couverture de ce sommet.
La vraie question de ce week-end sera donc celle-ci : à quoi bon ? Pourquoi avoir paralysé la côte basque en plein mois d’août ? Pourquoi avoir dépensé 36,4 millions d’euros quand nos hôpitaux réclament quelques millions d’euros de plus pour améliorer l’accueil des patients ? Pourquoi avoir mobilisé 13 000 membres des forces de l’ordre ? Une chose est certaine : pas pour un sommet capable de régler les grands problèmes économiques de l’époque. Le G7 de Biarritz sera même le premier à reconnaître son impuissance puisque, cette fois, aucun communiqué commun ne sera publié à son issue.
C’est sans doute une économie salutaire dont l’honnêteté de la démarche doit être portée au crédit d’Emmanuel Macron. Depuis une dizaine d’années, les communiqués du G7 se contentaient d’enfiler les perles habituelles de la communication officielle. Le G7 est pour la liberté du commerce, l’égalité hommes-femmes, l’environnement et la paix dans le monde. Il est contre la guerre, les inégalités et les épidémies. La belle affaire. On peut, au reste, se convaincre de son inefficacité par un fait simple : les sites dédiés aux sommets du G7 par les gouvernements organisateurs n’existent plus et, preuve de leur vacuité, on cherchera en vain les communiqués des réunions passées. N’engageant à rien, ils se sont naturellement évaporés. 
Mais l’honnêteté de la démarche d’Emmanuel Macron ne doit cependant pas être surestimée. Car l’absence de communiqué est surtout le fruit d’une tension extrême au sein du G7 qui paralyse même l’accord sur les grands thèmes que l’on vient de décrire. L’arrivée d’une forme d’extrême droite au pouvoir aux États-Unis avec Donald Trump, et désormais au Royaume-Uni avec Boris Johnson, rend la rédaction d’une déclaration finale quasiment impossible, comme l’avait montré le précédent G7 au Canada. Mais la logique aurait alors voulu que, si l’accord est impossible sur cette question purement formelle, il n’y eût simplement pas de G7. On se serait épargné une saison écourtée pour la côte basque et quelques dizaines de millions d’euros, sans que le monde ne cessât pour autant de tourner.
Certes, on ne peut écarter un argument central : la division au sein du G7 rend le dialogue et les discussions toujours plus nécessaires. C’est précisément parce que l’on ne s’entend pas qu’il faudrait se parler. Peut-être, mais le dialogue doit-il prendre la forme de ces sommets ? Et surtout, est-il à la fois possible et utile ? Ne peut-on se parler autrement ? En réalité, les sommets du G7 étaient déjà de stériles festins de puissants lorsque Barack Obama était président des États-Unis et ils le sont encore davantage maintenant que Donald Trump refuse formellement toute forme de multilatéralisme. Mais qu’on ne s’y trompe pas : le clown Trump a bon dos. Ce rejet d’un accord commun au sein du groupe des Sept existe depuis plus longtemps. Les vraies décisions se jouent ailleurs, dans les discussions bilatérales ou dans les grands « camps » qui se dessinent dans le monde actuel : Union européenne, « nouvelle route de la soie » chinoise, restes de l’empire étasunien…
En réalité, lorsque l’on observe les grands désordres du monde, on s’interroge sur la capacité du G7 de Biarritz non seulement de pouvoir dépasser les vœux pieux, mais simplement de pouvoir engager une discussion. Le Brexit ? Boris Johnson a montré qu’il était dans un dialogue de sourds avec Angela Merkel et Emmanuel Macron cette semaine. Qui peut croire que l’on avancera sur le sujet ce samedi parce que les trois dirigeants dîneront devant la plage de Biarritz avec quatre autres plus ou moins intéressés par le sujet ? Le ralentissement économique mondial ? Emmanuel Macron a promis de parler relance à Angela Merkel. Mais qui peut croire qu’il a besoin d’un G7 pour évoquer le sujet avec la chancelière allemande ? Au reste, cette dernière vient de fermer la porte à cette option. Le président français le sait parfaitement, ce qui confirme que tout cela n’est que mise en scène. La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine ? La Chine n’est pas dans le G7 et Donald Trump n’en fait qu’à sa tête, tandis que les autres membres du G7 ne cherchent qu’à profiter de la situation. Aucune position commune n’est possible dans le groupe. La discussion est impossible et inutile. La Chine a d’ailleurs annoncé ce vendredi 23 août, à la veille du G7, de nouvelles mesures douanières en réponse à celles des États-Unis pour 75 milliards de dollars. Une façon de bien insister sur le peu d’importance de cette réunion de Biarritz sur le sujet.
L’environnement ? Emmanuel Macron a tweeté qu’il voulait évoquer la crise des incendies en Amazonie. Mais là encore, le Brésil n’est pas présent et il sera impossible de définir une position commune face à Brasilia, par exemple un embargo. Londres et Washington, mais aussi sans doute Berlin, ne souhaitent pas se fermer l’accès au marché brésilien pour laisser la place à d’autres, notamment à Pékin. D’ailleurs, Emmanuel Macron n’a jamais mentionné un tel embargo et s’est contenté d’évoquer un non français au traité commercial entre le Mercosur et l’UE (qui est du ressort du Conseil européen), ce qui ne concerne en rien le G7. On voit ici une fonction cachée et perverse de ce type de sommets : afficher un désaccord pour montrer qu’on ne peut rien faire.
Certes, Justin Trudeau s’est empressé de retweeter le président français pour assurer qu’il ne « saurait mieux dire », mais en précisant que « beaucoup avait déjà été fait » lors du sommet de l’an passé au Canada. Étonnante remarque lorsqu’on sait les problèmes que pose le Ceta, l’accord commercial canado-européen, et alors même que les événements d’Amazonie prouvent de façon éclatante le contraire et que, précisément, le président étasunien avait refusé de prendre tout engagement sur le climat. Au reste, Justin Trudeau est fort affaibli avant les élections générales de l’automne, notamment en raison de l’émergence des Verts, et il faut surtout voir ici un message à usage interne, dans le cadre de la campagne canadienne… En attendant, une unité et une résolution du G7 sur le sujet sont proprement impossibles.
Une usine Potemkine au service de la communication des plus puissants
Bref, c’est un G7 de plus pour rien. Rien d’étonnant à cela si l’on s’interroge sur ce que représente ce groupe fondé en novembre 1975 (sans le Canada), lors d’un sommet (déjà) organisé en grande pompe à Rambouillet par un président français (déjà) obsédé par sa volonté de faire partager aux dirigeants de ce monde les fastes de la monarchie présidentielle française. À l’époque, pourtant, ce groupe avait un sens. C’était celui des « sept pays les plus industrialisés de la planète », pour reprendre la formule consacrée, qui devaient faire face à des problèmes sur lesquels ils avaient encore la main. La fin du système de Bretton Woods et la crise économique étaient alors une question concernant ces pays qui, par ailleurs, étaient unis dans la défense du « monde libre » contre le bloc soviétique. Et l’on pouvait effectivement croire qu’un accord était non seulement possible, mais encore utile. Le G7 était alors l’incarnation de la domination « occidentale » sur le monde.
Or, même alors, cette tentative de multilatéralisme a largement échoué. Lorsqu’on relit la déclaration de Rambouillet de 1975, on a le sentiment que rien n’a réellement changé : les bonnes intentions se sont confrontées aux réalités. Les États ont combattu la crise à leur façon en se souciant peu des autres. Aucune stratégie mondiale énergétique n’a été construite, aucun nouveau système monétaire mondial n’a été bâti. Lorsque la Fed a, en 1981, augmenté violemment ses taux, elle n’a rien demandé à personne et a suivi un agenda national. Certes, au milieu des années 1980, les accords monétaires du Plaza (1985), puis du Louvre (1987), pour faire baisser le dollar, sont un des rares exemples de succès. Mais, en réalité, c’est moins le G7 que la conversion nationale des élites au néolibéralisme dans ces années-là qui a redessiné le monde. Le G7 des années 1980 et 1990 donne alors l’illusion d’une certaine entente. Mais cette entente est le fruit d’un accord idéologique qui ne débouche guère sur des actions concrètes. Le G7 devient alors un symbole, celui d’un monde occidental converti au néolibéralisme, et c’est pour cela qu’il focalise les critiques, comme à Gênes en 2001.
Avec la mondialisation et l’émergence de la Chine et d’autres grandes économies, le G7 devient clairement un outil moins pertinent de gestion des problèmes mondiaux. Rien n’est plus ridicule que de reprendre aujourd’hui, comme le font certains, l’expression des « sept pays les plus industrialisés » de la planète. Le plus industrialisé du monde, la Chine, est absent, ainsi que trois des sept plus importants producteurs industriels du monde : l’Inde, la Corée du Sud et la Russie. En 2008-2009, le G7 a été impuissant et c’est la Chine qui a relancé l’économie mondiale sans concertation et largement pour des raisons nationales. Les limites du G7 ont été si criantes qu’on a créé en 2008 le G20, qui intègre les pays émergents et représente davantage le monde tel qu’il est. Ce G20 a permis alors quelques avancées sur la lutte contre « l’optimisation fiscale » ou la régulation bancaire.
La production industrielle en valeur dans chaque pays du monde. © Banque Mondiale
Mais la crise de 2008 a une longue traîne. Elle a désorganisé l’ordre néolibéral du monde qui, désormais, est en crise. Les G20 sont, dès lors, eux aussi rapidement devenus des coquilles vides pleines de belles intentions sans lendemain. Qui se souvient des conclusions de celui qui s’est tenu en juin au Japon, dont les signataires se sont contentés de réaffirmer leur attachement aux accords de Paris sur le climat ? Emmanuel Macron y avait reçu des assurances sur la forêt amazonienne de Jair Bolsonaro, assurances qu’il a dû reconnaître comme mensongères ce 23 août… Si le besoin d’une entente internationale n’a jamais été aussi évident, sa possibilité n’a jamais été aussi réduite. En réalité, le G20 comme le G7 ne sont plus que des fossiles d’un système en voie de décomposition où chacun tente désespérément de se tirer au mieux d’une situation qui échappe à tout le monde.
Le G7 ne sert-il donc à rien ? Pas tout à fait. Il sert de vitrine. Dans un coin de la vitrine, il y a l’illusion de la coopération. On feint de discuter, de monter des commissions, de fixer des ambitions. Et puis, rien ne suit. Une des dernières décisions concrètes du G7 avait été en 2005 de promettre 25 milliards de dollars pour les pays les plus pauvres. Ce montant n’a jamais été versé et beaucoup d’États africains se sont alors vendus au plus offrant, autrement dit la Chine. Mais on n’en est même plus à ce niveau, il s’agit seulement de se mettre en scène en train de discuter pour prouver par l’image que l’on se parle, même et surtout si l’on ne se dit rien.
Mais l’essentiel de la vitrine est constitué d’autre chose : de la communication des chefs d’État et de gouvernement présents. Rien n’est plus utile à cette communication que ce type de grandes rencontres entre « maîtres du monde ». L’hôte de la rencontre est alors particulièrement mis en valeur, incarnant une forme de « direction personnelle » de cet aréopage. C’était bien le sens du tweet « amazonien » d’Emmanuel Macron où il donnait « rendez-vous » aux « membres du G7 », comme s’il gérait cette urgence internationale. À cela s’ajoute évidemment la possibilité de mettre en avant un agenda de communication nationale. Là aussi, dans le cas du président français, c’est évident : il a décidé de placer au centre de ce sommet les questions des inégalités et de l’environnement. Piquant pour celui qui refuse de lancer, malgré les taux bas, un vaste plan d’investissement pour le climat et qui, donc, place la dette publique devant la dette écologique, mais aussi pour celui qui concentre son action fiscale sur les plus fortunés et sur la destruction de l’État social. Cela est cependant cohérent au regard de la narration lancée au printemps d’un pseudo « acte II » du quinquennat fait de social et d’écologie. Au reste, le choix de Biarritz, lieu de villégiature de jeunesse du président, montre assez le caractère purement personnel et vaniteux de ce sommet vide de sens. Et c’est donc bien dans cette raison d’image qu’il faut chercher la seule justification de ce G7 de Biarritz, des millions dépensés et de la côte basque bouclée. Une forme d’usine Potemkine d’un monde en lambeaux et d’un pouvoir aux abois.

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