Relance européenne: l’exemple de l’ Italie = la réalité !

Fonds de relance UE et Italie : tout ce qui brille est-il de l’or (et pour qui) ? 

27 juillet par Marco Bersani 

 

Désolé une fois de plus de devoir réfuter le discours médiatique dominant, prêt à remettre le Ballon d’or 2020 au Premier ministre Conte pour l’accord signé sur le Fonds de relance, après une âpre confrontation de quatre jours au sein de l’Eurogroupe. 

Je risque ainsi de provoquer une certaine irritation chez ceux qui, en toute bonne foi, caressent depuis longtemps l’image d’un pays qui relève enfin la tête et obtient des résultats pour améliorer leur condition. Et de susciter des accusations de travailler pour l’ennemi de la part des quelques personnes, de mauvaise foi, pour lesquelles il est interdit de déranger le grand timonier à la manœuvre. 

Mais comme les faits ne correspondent pas à l’histoire qu’on nous raconte, il faut s’y tenir, et c’est ce que je ferai. 

 Les chiffres de l’accord 

Le Fonds de relance sera doté de 750 milliards d’euros, dont 390 milliards d’euros seront mis à disposition sous forme de transferts (définis à tort comme « non remboursables/à fond perdu ») et 360 milliards d’euros sous forme de prêts. Par rapport à la proposition initiale, qui prévoyait 500 milliards d’euros de transferts et 250 milliards d’euros de prêts, l’accord a donc modifié la répartition. 

Sur cette somme, l’Italie recevra 81,4 milliards de transferts et 127,4 milliards de prêts. 

Ce sont sans doute des chiffres importants, mais d’où viennent-ils ? 

Ils seront collectés sur les marchés financiers par l’émission d’obligations par la Commission européenne, qui garantira le budget de l’Union européenne. 

En conséquence, le budget de l’Union européenne sera augmenté et, puisque le budget de l’UE est constitué des quote-parts de financement de chaque État, il est nécessaire de tenir compte du montant que notre pays devra payer, pour permettre le lancement du Fonds de relance. 

Et voici un premier chiffre surprenant, car la quote-part supplémentaire que l’Italie devra verser correspond à 96,3 milliards [1]. 

En résumé : l’Italie paiera 96,3 milliards pour recevoir 81,4 milliards sous forme de transferts et 124,7 milliards sous forme de prêts. Donc, s’il y a quelque chose qui est donné « à fond perdu », ce sont bien les 14,9 milliards que l’Italie met en plus de ce qu’elle reçoit comme « transfert », alors que l’argent réel qu’elle reçoit est entièrement prêté. 

À des taux d’intérêt bas, mais, comme chacun peut le constater, le Père Noël n’existe pas. 

 Quand l’argent arrive 

Le Fonds de relance sera incorporé dans le budget 2021-2027 de l’Union européenne. La Commission pourra donc lever des fonds sur les marchés financiers à partir de janvier 2021. L’accord prévoit que 70 % des fonds seront versés en 2021-2022 et 30 % l’année suivante. Pour en revenir aux comptes italiens, notre pays devrait donc recevoir 146 milliards dans les deux prochaines années et 63 en 2023. 

La partie de l’argent emprunté (qui, comme nous l’avons vu, est la seule qui arrivera effectivement en Italie, étant donné le solde négatif du donné-rendu de la partie liée aux transferts) devra être progressivement remboursée à partir de 2027 jusqu’au 31 décembre 2058. 

L’accord prévoit un préfinancement de 10 % – pour l’Italie 20,9 milliards – qui doit être utilisé pour des usages conformes aux programmes généraux de l’Union européenne. 

Nous parlons donc de ressources qui ne seront pas disponibles avant la fin du printemps 2021, une échéance qui n’est certainement pas adaptée à des interventions d’urgence. 

 Les conditionnalités de l’accord 

Le repas n’est pas gratuit, il faut le répéter. Et pour obtenir l’argent du Fonds de relance (tout est prêté, à ce stade, je pense que c’est clair), le chemin est semé d’embûches, les fameuses conditionnalités. 

Afin d’accéder aux fonds de l’UE, l’Italie, comme les autres États membres, doit préparer un plan de relance triennal (2021-2023), qui sera présenté à l’automne. Et qui, s’il est jugé approprié, sera réexaminé en 2022, avant la distribution de la tranche de fonds de 2023. 

Les plans doivent être préparés en tenant compte du fait que la note d’évaluation la plus élevée « doit être obtenue pour les critères de cohérence avec les recommandations spécifiques par pays ». (point A19 de l’accord). 

Les recommandations auxquelles il est fait référence sont celles de 2019, celles de 2020 ayant sauté en raison de la pandémie et, en ce qui concerne l’Italie, sont les suivantes : réforme fiscale, réforme du travail, réforme de la justice, réduction de la dette à laquelle toutes les recettes extraordinaires devraient être affectées, réduction structurelle des dépenses publiques égale à 0,6 % du PIB

En d’autres termes, le retour après dépoussiérage du piège de la dette publique et des politiques d’austérité. 

Si c’est là une victoire, il vaut mieux ne pas penser au moment où une défaite se produira. 

 Qui juge et décide 

Sur indication de la Commission européenne, qui aura deux mois pour évaluer les plans présentés par les États, le Conseil européen décidera à la majorité qualifiée (55 % des pays, soit 65 % de la population) d’approuver ou non le plan. Le feu vert est un acte d’exécution qui doit être adopté par le Conseil dans un délai d’un mois. Mais il faudra satisfaire les objectifs intermédiaires et finaux. La Commission demandera donc au Comité économique et financier si ces objectifs sont atteints. Si, « à titre exceptionnel », certains pays considèrent qu’il y a des problèmes, ils peuvent interrompre les versements des fonds et demander à aborder la question spécifique lors d’une réunion spéciale du Conseil européen. C’est le fameux « frein à main » obtenu du « frugal paradis fiscal » batave pour donner le feu vert. 

Un cheminement surveillé pas à pas, qui pour un pays comme le nôtre, qui a déjà un ratio dette/PIB d’environ 150 %, risque de réserver plus d’une mauvaise surprise. 

 Première observation 

S’il est vrai qu’un conflit s’est finalement ouvert en Europe sur le profil de l’Union européenne, il faut noter que ce conflit est resté totalement dans le cadre d’une vision libérale de la dimension européenne. 

La preuve en est que personne n’a mis en avant la nécessité d’aborder la question principale : le rôle de la Banque centrale européenne et sa soi-disant indépendance (par rapport à l’intérêt général, et non par rapport à celui des marchés). 

Revendiquer un caractère public de la Banque centrale européenne (semblable à celui de toutes les banques centrales du monde), aurait permis à tous les États de se doter des ressources nécessaires, sans alourdir la dette publique et surtout sans les fameuses conditionnalités. 

 Deuxième observation 

S’il est vrai que l’Union européenne a évité l’effondrement en signant un accord au bout de quatre jours, il faut noter que ce résultat aggrave son profil de communauté politique et sociale et sa capacité d’intervention stratégique sur les grands défis de l’heure. 

D’un point de vue politique, il suffit de citer la concession faite aux pays dits de Visegrad (Hongrie et Pologne en premier lieu) de découpler l’aide financière du respect de l’État de droit. 

Du point de vue de la stratégie d’intervention, il suffit de considérer qu’avec la nouvelle répartition entre transferts et prêts (qui réduit considérablement les premiers et augmente les seconds), des fonds essentiels cruciaux pour les programmes européens communs sont sabrés, à commencer par ceux liés à la transition vers l’éco-durabilité. 

Du point de vue décisionnel, l’Union européenne se réaffirme en effet comme une simple juxtaposition d’États, chacun intéressé par son propre intérêt national et en concurrence directe avec les autres. 

Contrairement à ce que nous dit le récit médiatique, nous ne sommes confrontés à aucun changement de paradigme dans nos institutions européennes. 

Pour qu’après la pandémie, rien ne soit plus vraiment vraiment comme avant, il devient urgent, pour l’automne qui vient, de préparer un Recovery Plan des mobilisations sociales. 


> Traduit par Fausto Giudice
 

Sources : Tlaxcala et https://www.attac-italia.org/recovery-fund-e-tutto-oro-o-tutto-loro-quello-che-luccica/ 

Notes 

[1] C’ est écrit noir sur blanc sur la Table A1 Allocation Key, jointe au “Commission Staff Working Document“, (Brussels 27.5.2020, SWD(2020) 98 final). 

Marco Bersani Directeur municipal de services sociaux et conseiller psychopédagogique pour les coopératives sociales. Membre fondateur d’Attac Italia, il a été l’un des promoteurs du Forum italien des mouvements pour l’eau et de la campagne « Stop TTIP Italia ». Il est membre fondateur du CADTM Italia (Comité pour l’abolition des dettes illégitimes) en Italie, et auteur de nombreux livres sur l’eau et les biens communs, la dette, l’industrie nucléaire, la dictature des marchés et la privatisation, tels que « Nucleare : se lo conosci lo eviti » (2009) ; « CatasTroika – le privatizzazioni che hanno ucciso la società » (2013). 

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